Au cœur d’une maison de soin psychiatrique à Bruxelles, une troupe de résident·e·s se retrouve pour des ateliers de théâtre. Les rendez-vous s’égrènent comme les habitudes. Ici, les regards peuvent se perdre dans le bruissement des feuilles, on y fume, on y boit du café, souvent trop. On entend des voix aussi qui nous empêchent… Ici, l’oscillation d’un cil peut nous faire vaciller en un instant.
Au cœur de la Cerisaie de Tchekhov, la maison de l’enfance et du paradis perdu tient encore debout. Lioubov et Gaev se refusent à vendre leur propriété et rejettent l’ordre en marche qui écrase leurs souvenirs et leurs espoirs. Ici, les larmes coulent, les rires éclatent, on fume et on boit, souvent trop. Ici, les idées sombres s’échouent au son d’un orchestre mité.
De la maison de Tchekhov à la maison de soin, il y a la scène du théâtre où vont habiter ces êtres errants, parfois en crise, qui se débattent avec vitalité pour survivre. La Cerisaie d’après nous est une balade théâtrale et musicale, faite de corps et de gueules, où une troupe amateure nous ouvre les portes d’un monde fait de ses propres normes, ses propres codes, son propre rythme.
Fusion interroge le rapport de la marge au centre, rend hommage aux quartiers, aux extra-muros, à la créativité des banlieues, de l’underground, de la culture hip-hop comme éternelle outsider flamboyante.
Fusion, c’est un hommage puissant aux victimes des violences policières. Une création dense, gracieuse, urgente. Une complicité entre deux femmes – Joëlle Sambi et Hendrickx Ntela – qui transcendent leurs « Arts », le Slam et le Krump, pour créer un langage scénique commun. Entre la lucidité tapie dans les mots de Joëlle, qui livre un texte d’une poésie engagée et enragée sur les violences sociales et policières, et la puissance du Krump d’Hendrickx, dont chaque mouvement
vient traduire les vers, on assiste à un véritable festival d’émotions.
Une poésie exprimée par deux corps différents, deux générations différentes, deux arts différents. Leur rencontre a lieu sur scène, lors d’un hommage rendu à Semira Adamu en 2018, 20 ans après son assassinat par la police belge. L’envie de collaborer ensemble naît tout de suite, comme une évidence. Il y a quelque chose de commun à ces deux artistes, une force intérieure, une puissance dans la voix qu’elle soit slamée pour l’une ou krumpée pour l’autre. On sent aussi un désir de transmission aux générations futures, de mise en lumière de celles et ceux mis de côté par notre société.
Le philosophe Laurent de Sutter (dandy ès-booze) et Sara Selma Dolorès (shaken not stirred) s’adonnent aux joies de la mixologie pour dire leur amour du cocktail. Parce que depuis la nuit des temps, l’humanité mélange des boissons alcoolisées pour les rendre davantage buvables.
Remède permettant aux marins d’avaler leur ration quotidienne de citron afin de lutter contre le scorbut ? Tentative de rendre plus intéressants les breuvages que les pouvoirs coloniaux s’administraient pour éviter les effets des moustiques ? Simple moyen d’éviter de regarder en face sa vie misérable, entre champs, industrie et servage ? Quoi qu’il en soit, le cocktail est au départ, un mode de survie – un mode d’accroître la résistance aux forces hostiles. Que cette résistance pût devenir politique est ce qui a aussitôt inquiété les autorités de toutes sortes, qui n’ont eu de cesse de réglementer la consommation d’alcool, tout en prélevant leur dîme sur leur vente. Car l’alcool, avant tout ingéré par les masses laborieuses, rend imprévisible.
Dire les marges aux rythmes du slam et des beats électroniques, en extraire la beauté, le vacarme et les rages qui y suintent. « Caillasses Live » est un récital poétique, électrique et saphique tiré du livre éponyme. Un femmage politique qui fait grincer les dents parfois, fait vibrer les corps aussi et réchauffe les cœurs assurément.
Avec son premier recueil de poésie « Caillasses », édité chez l’Arbre de Diane, Joëlle Sambi tisse une étoffe. Elle assure la protection des vivants et le passage des mots. Une plume affilée, aussi profonde et pleine que la forêt équatoriale. Tel un manifeste poético-politique, elle y déploie les cicatrices d’un corps-âme mâtiné de violences raciales, sexistes et homophobes. Sa langue se pare de mille éclairs afin de partager les raisins mûrs de la colère. C’est tout cela qu’elle porte sur scène, à la rencontre de l’univers musical de Sara Machine.
Pour avancer, il faut bondir sur le ring, se battre, prendre des coups, les encaisser, les esquiver, perdre et gagner. Portée par les rythmes électro pulsants de Sara Machine et les mouvements acérés de Kenza Deba, Joëlle Sambi monte sur scène avec la meute des siennes. Ensemble, elles rendent coup sur coup, fendent les jougs et tentent de faire maison.
Avec Angles Morts, l’autrice et performeuse explore les recoins des existences à la marge. Dans ce spectacle-ritournelle, ce mantra incessant, cette lutte en continue, les voix étouffées résonnent et trouvent écho. La scène devient alors un espace vibrant entre luttes et euphorie militante, où les corps s’expriment avec une ferveur contagieuse.
Trois figures costumées, comme tout droit sorties du placard, rejouent à l’ombre d’un jardin les jeux furieux du regard occidental, au rythme lent d’une pavane.
Le soleil éclaire ce bout de jardin comme il avait éclairé un autre jardin, le jardin renaissant, en Italie au XVème siècle. Dans ce jardin, nous avons appris à regarder et à désirer le monde. Nous avons inventé les artistes. Et nous avons inventé les conquistadors. Nous avons inventé les artistes pour qu’ils nous dessinent le monde et les conquistadors pour qu’ils nous le possèdent. Rien de nouveau sous le soleil : nous nous sommes habitués à ce nouveau regard et à ce Nouveau Monde, devenus les nôtres. Pourtant, il n’en a pas toujours été ainsi.
Petit spectacle en jardin, La Pavane est une révérence irrévérencieuse faite au jour de notre naissance, celui qu’on a appelé plus tard Renaissance, afin de le peindre sans doute aux couleurs de la fatalité.
“Home” est le terme qui désigne une maison de retraite en Belgique.
“Home” est un anglicisme qui signifie foyer, chez-soi.
Trois résident·e·s attendent.
Une table, trois chaises, une horloge, un fauteuil, une radio.
C’est une salle commune. Un espace pour être ensemble, un espace où l’on est seul.
Il ne se passe rien.
On attend le·la médecin, un appel, ou une visite.
Comment faire entrer 90 ans d’existence dans une chambre de 15 m2 ? Et que voit-on du monde depuis ces endroits-là ? Maison de retraite, hospice, Ehpad en France, home en Belgique : la diversité d’expressions pour nommer les lieux où l’on « place » nos aîné·e·s cache mal leur décor désespérément uniforme et aseptisé.
Dans HOME de Magrit Coulon, trois jeunes comédien·ne·s prêtent leurs corps aux voix des anciens. D’un tableau à l’autre, véridique ou vraisemblable, la rythmique d’un quotidien en huis-clos, la mécanique des mouvements et des latences, des souvenirs et des espérances, transforment la maison de retraite en un espace de vies et de fantasmes.